Ce contenu est réservé aux abonné
L’Afrique a subi, depuis des siècles, les assauts de puissances étrangères et l’avidité de dirigeants locaux. Entre la traite négrière, la colonisation et l’ère post-indépendances, le continent a souvent été le théâtre d’intérêts voraces, fomentant inégalités et frustrations. Aujourd’hui encore, au-delà des grands discours et des espoirs nés des indépendances, nombreux sont les citoyens à se sentir bernés par leurs politiciens. D’où vient ce profond sentiment de trahison ? Comment se perpétuent les mécanismes d’oppression et de souffrance ? Plongée dans un passé tourmenté et un présent complexe.
L’Ombre Persistante de la Colonisation
L’histoire moderne de l’Afrique est marquée par la longue nuit coloniale. Dès le XVe siècle, les traites négrières (transsaharienne, transatlantique) ont ébranlé les sociétés locales. Des millions d’hommes et de femmes ont été arrachés à leurs terres, vendus comme marchandises et déshumanisés. Plus tard, au XIXe siècle, la « Ruée vers l’Afrique » et le partage du continent entre puissances européennes (conférence de Berlin, 1884-1885) ont bouleversé les équilibres existants.
Les colonisateurs ont redessiné les frontières de manière arbitraire, regroupant ou séparant des ethnies qui n’avaient parfois en commun que le sol sur lequel elles vivaient. Ces divisions ont créé des tensions toujours présentes, exploitées par certains politiciens pour asseoir leur pouvoir. Les structures administratives et économiques mises en place, conçues principalement pour extraire des ressources, ont laissé derrière elles des économies fragiles et dépendantes.
La Naissance des Illusions Post-Indépendances
Dans la seconde moitié du XXe siècle, le vent des indépendances a soufflé. Les pays africains ont brisé le joug colonial, nourrissant de grands espoirs : reconstruction, justice sociale, dignité retrouvée. Des figures charismatiques — Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, Sékou Touré, entre autres — ont porté le rêve d’une Afrique libre et unie. Or, ces indépendances, souvent négociées hâtivement, se sont accompagnées de nombreux compromis, maintenant un lien de dépendance économique avec les ex-métropoles.
Les néocolonialismes se sont installés par d’autres moyens : conseils diplomatiques, accords commerciaux inégaux, investissements ciblés dans les secteurs rentables. Rapidement, certains dirigeants, avides de contrôle, ont profité du flou institutionnel pour asseoir un régime autoritaire ou clientéliste. Les promesses de redistribution et de justice ont été diluées dans la corruption et le népotisme.
Politiciens et Jeux de Pouvoir
Dans de nombreux pays, les dirigeants parvenus au sommet ont hérité du modèle autoritaire imposé par la colonisation : un État central fort, incapable de véritablement dialoguer avec les citoyens. Ils ont compris que pour se maintenir au pouvoir, il suffisait souvent de maîtriser les forces de sécurité, de distribuer des faveurs aux soutiens clés et de maintenir la population dans un état de nécessité.
Les politiciens usent de discours populistes, promettant monts et merveilles lors des campagnes électorales. Une fois élus, la réalité se confronte à l’inertie administrative et au clientélisme. Les groupes d’intérêts (hommes d’affaires, élites corrompues) s’entremêlent avec le pouvoir, tandis que la base populaire demeure dans la précarité. Dans certains cas, la fragilité des institutions permet à des chefs d’État de modifier la constitution pour prolonger leur mandat indéfiniment.
Ressources Naturelles, Bénédiction ou Malédiction ?
Le sol africain regorge de minéraux précieux (or, diamant, bauxite), de pétrole, de terres fertiles. Paradoxalement, ces richesses profitent rarement aux populations. Les revenus de l’extraction sont souvent confisqués par des élites locales complices de multinationales étrangères. On parle alors de « malédiction des ressources » : au lieu de favoriser le développement, elles alimentent les convoitises, financent des conflits internes et consolident des pouvoirs autoritaires.
De l’Angola au Congo, en passant par le Nigeria, l’argent du pétrole ou des minerais ne se traduit pas toujours par une amélioration durable des conditions de vie. Les routes restent impraticables, les hôpitaux sous-équipés, l’éducation lacunaire. Cette iniquité accroît la colère populaire, mais beaucoup de citoyens se sentent impuissants face à des appareils répressifs bien rodés.
Une Jeunesse Désenchantée
Dans les grandes villes africaines, on perçoit l’effervescence d’une jeunesse diplômée, connectée, aspirant à l’innovation. Pourtant, le chômage, la précarité et la lenteur des réformes politiques freinent l’épanouissement de cette génération. Les politiciens usent parfois de slogans accrocheurs, promettant une « renaissance africaine », mais sur le terrain, tout avance trop lentement.
Des milliers de jeunes décident d’émigrer, espérant trouver ailleurs l’emploi et la reconnaissance auxquels ils aspirent. Beaucoup tentent la traversée dangereuse vers l’Europe, prêts à risquer leur vie face au désert, aux passeurs et à la Méditerranée. Les chaînes d’information relayent régulièrement des drames de bateaux surchargés. Cette fuite de cerveaux et de talents freine encore davantage la capacité des pays africains à se développer.
Le Spectre de la Dette et de l’Injustice Économique
Souvent contractées à des taux défavorables, les dettes extérieures des États africains grèvent les budgets nationaux. Les institutions internationales imposent des mesures d’austérité, coupant dans les dépenses sociales, privatisant à outrance, affaiblissant encore les classes moyennes et pauvres. Dans cette spirale, certains gouvernements prétendent que leurs mains sont liées, que la tutelle financière internationale les empêche d’investir dans l’éducation ou la santé.
Derrière les beaux discours sur la coopération se cachent parfois des contrats léonins. Des pays émergents — la Chine, par exemple — investissent massivement dans les infrastructures, mais imposent des conditions de remboursement lourdes et attendent en retour l’accès privilégié à des ressources stratégiques. Les populations, peu informées, se rendent compte trop tard que des pans entiers de leurs terres ou de leurs secteurs clés passent sous contrôle étranger.
Manipulation Politique et Instrumentalisation des Identités
De l’autre côté, les élites au pouvoir s’appuient fréquemment sur les divisions ethniques ou religieuses pour asseoir leur légitimité. Chaque communauté se voit promettre des avantages, à condition de rester fidèle. Les discours politiques se teintent de xénophobie ou d’ostracisme envers des groupes rivaux. Cette instrumentalisation a contribué à des conflits meurtriers, à l’instar des tragédies vécues au Rwanda (génocide de 1994) ou lors de guerres civiles dans divers pays.
Loin de jouer leur rôle de cohésion, certains leaders préfèrent maintenir la flamme de l’animosité afin d’éviter tout soulèvement général. On dresse des communautés les unes contre les autres, laissant la corruption prospérer loin des projecteurs.
La Résilience, Force Cachée du Continent
Pourtant, malgré la souffrance et les promesses non tenues, l’Afrique affiche une résilience stupéfiante. Des associations de la société civile s’organisent, des médias indépendants émergent, des artistes et écrivains dénoncent la tyrannie dans des œuvres poignantes. L’essor des technologies, particulièrement le mobile et l’Internet, favorise la prise de conscience collective.
Beaucoup d’Africains, conscients des jeux d’alliances et de la duplicité politique, réclament plus de transparence, de démocratie, et de justice sociale. Les protestations pacifiques se multiplient, du Sénégal à l’Ouganda, où la jeunesse prend la parole, organise des concerts de sensibilisation, brandit des pancartes pour réclamer un futur différent. Il arrive parfois que la mobilisation populaire fasse reculer un président prêt à briguer un mandat supplémentaire, ou qu’un vote scrutin permette de faire émerger de nouveaux visages.
Un Passé Dououreux, un Présent Mouvant
Entre héritage colonial, esclavagisme, promesses trahies et néocolonialisme économique, l’Afrique porte un lourd fardeau historique qui pèse encore sur la politique et la société. Si elle souffre aujourd’hui de leaders corrompus ou opportunistes, c’est aussi parce que le terrain a été fragilisé par des siècles de domination et de pillage.
Les souffrances ne sont pas le fruit d’une fatalité. Elles proviennent de choix, de alliances, et de systèmes injustes que certains tentent de perpétuer. La prise de conscience progresse, portée par une nouvelle génération souhaitant tourner la page des vieilles pratiques. Pour cela, il faudra sans doute un renforcement des institutions, une éducation émancipée de la tutelle extérieure, et une responsabilisation des élites.
Les Lueurs d’Espoir entre les Lignes de Faille
Dans ce contexte, des figures politiques émergent, prônant l’intégrité et la redevabilité envers le peuple. Certaines réussissent à impulser des réformes tangibles, à lutter contre la corruption, à attirer des investissements responsables. Des diasporas s’impliquent de plus en plus, transférant savoir-faire et capitaux. Des ONG locales et internationales soutiennent des projets de développement durable, favorisant l’entrepreneuriat féminin, l’agroécologie, ou la tech adaptée aux réalités africaines.
Au final, l’Afrique n’est pas qu’un continent de souffrance et de tromperie politique. C’est aussi un bouillonnement d’idées, un potentiel immense, une résilience qui puise ses racines dans les traditions et la solidarité communautaire. Mais tant que perdureront l’impunité, les arrangements louches et la précarité savamment entretenue, la population continuera d’endurer l’injustice et la désillusion.
Dans les rues animées de Kinshasa, d’Abidjan ou de Lagos, on entend encore les gens murmurer qu’ils ne veulent plus de « discours creux ». Ils exigent des actes concrets, le respect de la dignité et la valorisation des richesses propres au continent. Si les politiciens ont su si bien manipuler le verbe pour endormir les consciences, les citoyens, eux, n’ont pas dit leur dernier mot. Ils demeurent les dépositaires d’une mémoire collective, forgée dans la douleur, et possèdent la force de réclamer, un jour, la place qui leur revient : celle de bâtisseurs de leur propre destinée.